VC_pancarte_271_miniature

Séjour dans la plantation Vera Cruz (Bahia, Brésil)

3 août 2015 | Catégorie : Plantations

VC_aube1_309

La fazenda Vera Cruz est située près d’Una, dans l’état de Bahia. C’est là que se sont installés Roland Müller et Jennifer Tibbaut il y de cela 15 ans déjà. Ils y ont rénovés une plantation en choisissant dès le départ d’y pratiquer une agriculture biologique. Cette ferme peut être considérée comme un «petit coin de paradis» : paysage somptueux d’une nature luxuriante, cacaoyères dans une cabruca préservant au mieux la biodiversité, modèle d’exploitation agricole qui arrive à être rentable. L’endroit parait certes idyllique aux visiteurs (il l’est !). Mais s’il en est ainsi, ce n’est pas uniquement à cause du lieu. C’est aussi et surtout grâce au savoir-faire et à la pugnacité d’un agriculteur hors-norme qui s’y est totalement investi. La matière première était là : la luxuriance tropicale de ce coin de Bahia et la tradition bahianaise du cacao. Mais pour que Vera Cruz soit ce qu’elle est, il a fallu des investissements importants et le travail d’un couple soucieux de travailler en accord avec sa vision du monde, son éthique, ses valeurs sociales et écologiques.

Vera Cruz est une fazenda de 106 hectares, dont une trentaine en cacaoyères. Elle appartient à un suisse, Roland Müller, qui avait d’abord quitté son cabinet d’architecte pour s’installer en Toscane et y élever des oliviers. Roland et Jennifer ont construit leur maison au milieu de la propriété, y vivent et y travaillent en permanence. Ils emploient 4 salariés à plein temps auxquels s’ajoutent 2 femmes à mi-temps.

VERACRUZ_953

La fazenda se situe dans le corridor central de la «Mata Atlantica», cette forêt atlantique brésilienne exceptionnelle de biodiversité. Le système cabruca  de culture des cacaoyers sous couvert forestier des grands arbres de la forêt permet de préserver au mieux l’environnement (cf. notre article). C’est la cabruca qui fait la richesse du terroir de ce cacao brésilien.

C’est dans ce terroir que poussent des cacaoyers de diverses variétés et origines: du cacao Comun,  un peu de Parasinho, divers clones hybrides divers qui ont été ajoutés au cours des ans par les prédécesseurs et à l’occasion de rénovation. La variété fait partie du mode de culture, c’est de la diversité que nait un assemblage d’amandes qui est caractéristique de la région. Veillons surtout à la qualité et à la maturité des fruits et n’accordons pas trop de crédit à ceux qui insistent sur la supériorité de fermenter des lots homogènes. «La pureté de la race ? Ce n’est pas mon idéologie», voilà ce que Roland n’avait pas hésité à dire un jour, narquoisement, à un couverturier européen qui regrettait l’hétérogénéité variétale de ses fèves.

VC_variete_clone_x4

Une des premières choses qui sautent aux yeux  quand on parcoure la fazenda, c’est le nombre de chemins qui ont été aménagés afin de faciliter le travail dans la plantation. Bien délimiter les différentes parcelles, aménager des chemins et les entretenir, tout cela représentent un investissement important. Un bon maillage facilite les récoltes et l’acheminement vers l’unité de fermentation. Cela permet également de gagner en visibilité : pouvoir voir d’un coup d’œil le maximum de plants, leur état général et bien sur l’état de maturité des cabosses.

20150527_141912 VC_Maturite_b_049

Mais assurer une bonne visibilité et gérer au mieux l’ombrage c’est surtout une question de taille des arbres. Et là nous avons toujours été étonné par l’approche que nous qualifierions de très déterminée de Roland. Il ne faut pas hésiter à couper. Le cacaoyer est un arbre fruitier, il faut le tailler pour lui faire comprendre que ce qu’on attend de lui c’est de donner des fruits et pas de produire du bois. Et tout ce qu’on coupe sert à couvrir le sol, à donner ce «mulch» qui protège, maintient l’humidité et nourrit le sol. Il faut éviter de laisser des branches partir trop bas pour que les cabosses soient bien visibles et accessibles. Il faut bien sûr ne pas laisser partir l’arbre trop en hauteur et ce pour faciliter la récolte et pouvoir plus facilement éliminer la varoussa de brucha, cette maladie omniprésente à Bahia. Donc il faut rabattre les arbres, et si nécessaire progressivement, en plusieurs années. Et rabattre beaucoup c’est une des manières de faire de Roland, qui avait beaucoup surpris les ouvriers au début. Ce «gringo» ne s’y connaissait surement pas. Heureusement qu’un agronome bahianais était venu une fois pour confirmer les idées de Roland, cela a rassuré. Et maintenant, après des années d’efforts – d’investissements – les résultats sont là et appréciés de tous. Mais n’empêche: j’étais souvent surpris quand je regardais Roland tailler. Moi je suis encore trop timide pour y aller aussi franchement. En plus, mes poignets de citadin intellectuel n’inquiètent que les toutes petites branches. Et même si Roland m’encourageait au début en affirmant haut et fort que la nature sait réparer et qu’un arbre est assez grand pour savoir se remettre d’aplomb, il faut bien avouer qu’il me faudra aiguiser mon sens de l’observation pour bien tailler. Je me suis consolé en me spécialisant dans la coupe des rejets pendant que le maître élaguait. Il y a un début à tout.

VC_Roland_taille_x4

Dans un précédent article («Quand il faut faire avec») nous avions fait part du niveau généralement médiocre du cacao à Bahia. Le choix de Roland Müller est au contraire celui de la qualité, une nécessité quand on veut valoriser son cacao sur le marché extérieur et qu’on veut rester cohérent avec ses idéaux écologiques et sociaux. Pour obtenir des fèves de qualité, il faut veiller à ce que chaque étape de la production et du traitement du fruit respecte de bonnes pratiques et ne négliger aucun détail. Pour Roland Müller, cela passe déjà par le choix de ne pas chercher la productivité à tout prix. Les arbres sont entretenus, les rameaux de varusha de brucha sont systématiquement coupés et détruits hors des vergers. Le sol a pu être abondé parfois avec de l’engrais organique mais évidemment aucun pesticide ou engrais chimique n’est utilisé ; nous sommes dans une plantation certifiée biologique. Une fois cueillies les cabosses sont ramassées à la main et non à la machette, les tas sont laissés quelques jours sur place, comme il se doit, et les cabosses sont triées avant l’ouverture. Les graines sont ensuite immédiatement mises en fermentation. Cette fermentation dans des caisses traditionnelles est surveillée au plus près, avec un contremaitre habitant sur place y veillant la nuit s’il le faut. Le processus de fermentation est classique : en principe, un premier brassage au bout de 48h, puis des brassages journaliers jusqu’au mais ce processus est à ajuster en fonction du fruit (la teneur en sucre de la pulpe), de la météo, etc. Le séchage sur les barcasses peut durer jusqu’à 10 jours, avant un séchage complémentaire en séchoir à bois. Pour le séchage, deux points sont particulièrement importants : brasser toutes les heures au début, et fermer les barcasses lorsque le soleil est trop brûlant entre 11h et 14h.

Mais la qualité ce n’est pas seulement une affaire d’expérience et de vigilance technique, de respect de la nature et de l’alchimie des traitements post-récolte. La qualité passe aussi par le respect des hommes : les travailleurs de la plantation, le collectif de la coopérative Cabruca , et au final le respect des clients. Si cette plantation est bien tenue et les fèves bien travaillées, c’est aussi grâce au climat de confiance et au respect mutuel qui s’est instaurée dans cette plantation. À Bahia, nombre de plantations appartiennent à des propriétaires terriens qui ne font que les visiter de temps en temps, le week-end. Et pour beaucoup d’expatriés qui se sont installés avoir une fazenda est certes l’aboutissement d’une passion mais correspond plus à un hobby de semi-retraités. Roland et Jennifer eux vivent sur la ferme et vivent de la ferme. Roland passe chaque jour des heures à crapahuter dans les cacaoyères, à tailler des arbres, à superviser son équipe. Jennifer est au four et au moulin, manage le potager, le verger d’arbres fruitiers, l’horticulture, travaille maintenant la vanille. D’après nous, cette implication totale des propriétaires est la preuve du respect qu’ils portent à ce coin de nature et aux salariés qui en tirent leur gagne-pain.

VC_equipe2_20150324_091848-e1437146651553

Grâce aux investissements réalisés et à leur travail quotidien Roland et Jennifer arrivent à vivre correctement de leurs fazendas (outre Vera Cruz, ils ont également d’autres plus petites propriétés aux environs, voir leurs fiches techniques sur le site de la coopérative cabruca). Mais sont-ils arrivés à faire du cacao une activité prospère ? En fait, non. Selon les années l’activité cacao peut être rentable, elle peut aussi atteindre à peine l’équilibre voire être déficitaire,  selon la récolte et le prix de vente. Roland n’hésite pas à affirmer que «Produire comme on le fait, c’est devenu du folklore». Il y a trop d’opérations manuelles, trop de travail de force que la prochaine génération n’acceptera sans doute plus de faire, des rendements en cabruca qui font que la production couvre à peine les couts salariaux. Selon Roland, ce mode de production devrait disparaitre àl’avenir – sauf si une partie des consommateurs acceptent vraiment de «payer le prix du folklore».

Si Roland et Jennifer s’en sortent, c’est d’abord parce que la majorité de leur cacao est exportée, via la coopérative Cabruca, chez un couverturier qui partage une vision à long terme de la durabilité de la filière : Felchling. Spécialiste de produits de niche, celui achète les fèves à un prix bien supérieur aux cours mondiaux.

La polyculture est une autre stratégie essentielle pour rentabiliser la plantation. Actuellement c’est l’açai qui est particulièrement intéressant. D’autres productions contribuent à la pérennité de la ferme : cupuaçu, poivre, un peu d’élevage, arbres fruitiers, etc. Un projet de production de vanille est en bonne voie. Une exploitation agricole ne doit jamais se cantonner à une monoculture, il faut savoir investir et persévérer sur plusieurs années tout en restant ouvert à d’autres projets et innovations.

Avoir été accueilli pendant des semaines par Roland et Jennifer a été un privilège extraordinaire, celui de pouvoir vivre dans une fazenda et de mieux comprendre son fonctionnement, grâce aux explications et conseils bienveillants de ceux qui m’ont accueillis.

Merci Roland. Merci Jennifer.

Gabriel Metz

5 Commentaires

  1. Tea Cacao Bean Travel DMC
    21 janvier 2016

    Répondre

    Bonjour jennifer et Roland,
    Je suis Patricia Ancelin cacaologue et chargée de mission pour le cacao et chaque année je me rends dans un pays de planteurs de cacao avec un groupe de 12 à 15 chocolatiers professionnels,français,belges et suisses.Je me suis déjà rendu dans plusieurs pays /Madagascar,Equateur,Brésil en 2007,Indonésie,Keral inde du sud,Vietnam,Pérou,Trinidad et Tobago,Chine pour le thé,Costa Rica et l’an passé Mexique.
    J’ai décidé que cette année nous allions retourner au Brésil pour découvrir le cabruca.Pourrions-nous vous rendre visite nous tous professionnels pour découvrir votre fazenda et votre processus à traiter le cacao?Madame Marcolini nous accompagne et est très intéressée pour l’achat de fèves de haute qualité.Je vous remercie par avance pour votre réponse.
    Vous pouvez me joindre par mail :a-patricia@wanadoo.fr

  2. Jennifer
    1 septembre 2015

    Répondre

    merdi à toi, mon cher Gabriel, de ton enthousiasme pour ces quelques jours passés ici chez nous.
    je redecouvre avec plaisir ton site et je te felicite pour aborder le cacao sous differents points de vue. je vais lire les autres textes avec plasir.
    juste une petite correction: vassoura de bruxa.
    beijos
    Jennifer

    • SEVE
      19 janvier 2016

      Répondre

      Titre : Chocolaterie SEVE / Richard et Gaëlle SEVE en déplacement au Brésil à la recherche de cacaos cultivés par des passionnés.

      Bonjour Jennifer,
      A la recherche Nous sommes chocolatiers à Lyon en France depuis 1991 à ce jour nous avons sept boutiques en propre et vendons nos gâteaux et chocolats en B to B.

      Richard SEVE est classé parmi les 10 meilleurs chocolatiers de France par le Club des Croqueurs de Chocolat à Paris.

      Nous construisons un nouveau laboratoire de production de chocolat qui ouvrira en juillet prochain de la fève de cacao au consommateur final avec un petit musée du chocolat.

      Nous partons à nouveau pour le Brésil le 14 février prochain , nous pourrions être dans la région d’ UNA vers le 23/24/25 février, pourrions nous vous rencontrer si vous le souhaitez pour découvrir votre savoir faire et visiter votre plantation Vera Cruz dans le but d’ acheter votre cacao.

      Dans l’ attente de votre retour :)

      — Bien chaleureusement,

      Gaëlle SEVE
      Président / C.E.O

      Mob : +33 (0) 6 23 25 89 00
      Tél.: +33 (0) 4 78 35 82 84
      Siège social / Head Office
      Les Halles de Lyon Paul Bocuse
      102 cours Lafayette
      69003 LYON
      France

      Visitez notre boutique en ligne / Please visit our online shop http://www.chocolatseve.com

  1. L’économie du cacao au Brésil – Cell'IE - […] [5]http://ecacaos.com/sejour_vera_cruz/ […]
  2. L’économie du cacao au Brésil – development-space-1 - […] [5]http://ecacaos.com/sejour_vera_cruz/ […]

Laisser un commentaire à Tea Cacao Bean Travel DMC Annuler le commentaire

*



Les commentaires sont soumis à la validation de l'administrateur, ils seront traîtés dans un délai maximum de 24 heures.