L’exemple d’une grande plantation : M.Libânio à Bahia, Brésil
6 juillet 2015 | Catégorie : Plantations
La société M. Libânio est un exemple d’une grande propriété agricole qui a constamment investi dans ses plantations et dans la mise en œuvre d’une culture managériale. Nous avons eu l’occasion de visiter deux de ses fazendas : Paineiras et Ladeira Grande (Petrolina), toutes deux près de Gandu, à Bahia.
En 1920 Durval et Marcel Libânio da Silva Filho fondent leur entreprise qui deviendra en 1975 la société M.Libânio Agricola S.A. Celle-ci possède 1615 hectares, dont 305 ha de cacaoyers et 363 d’association cacaoyers et hévéas. L’activité élevage ayant été pratiquement abandonnée, elle se concentre en effet sur le cacao et le caoutchouc. Elle emploie 250 personnes, avec une organisation rigoureuse : chaque ferme est considérée comme une entreprise, chaque ferme est divisée en «glèbes» de 5 ha qui ont chacune un responsable.
M.Libânio bénéficie des acquis de son histoire et de l’importance que revêtaient les grandes propriétés de ce type lors du développement de la région. Nous avions fait remarquer à son directeur, Eimar Sampaio Rosa, que nous étions surpris de voir que les terres d’une des fazendas commençaient juste après le marché municipal de Gandu. Il nous a répondu non sans fierté qu’il ne fallait pas voir les choses comme cela. En vérité, c’est tout le quartier de Gandu qui a été donné par Libânio à la municipalité pour permettre de se développer. Nuance…et bon rappel de ce qu’est l’histoire de Bahia.
Mais l’ancrage historique et la puissance terrienne ne sont que deux éléments du succès. Rares sont les grands propriétaires qui ont voulu et su constamment investir dans leurs plantations. Recherche agronomique (variétés du matériel génétique, processus de reproduction asexuée), innovations et modernisations des traitements post-récoltes, formation des travailleurs et éducation de leurs enfants, prise en compte d’objectifs de durabilité, d’impacts socio-environnementaux, appui aux coopératives et à la filière en général, et …marketing. Deux choses nous ont plus particulièrement marquées lors de notre visite. Premièrement, l’insistance à mettre en avant une culture d’entreprise, facteur de cohésion et de fierté d’appartenir au groupe Libânio. Deuxièmement, la volonté de tout organiser au mieux. Ainsi, M. Libânio dispose de son propre logiciel informatique pour suivre toutes les activités effectuées dans chaque parcelle. Tout est tracé. Tout peut faire l’objet d’analyse pour retour d’expérience.
Nous avons visité une des propriétés de la société M.Libânio : la fazenda Paineiras près d’Itamaraty, Bahia. Une ferme de 720 hectares, dont 515 ha de forêts de la Mata Atlantica et 140 hectares de cacaoyères : 90 hectares en production, produisant 4000 arobes (soit 60 tonnes de cacao), 45 ha de cacaoyères en rénovation et de nouvelles plantations, et un jardin clonal. La fazenda emploie 70 salariés dont 55 pour les zones en production et 30 pour les 45 en investissement. 30 familles vivent sur la fazenda, qui possède sa propre école primaire.
Cette fazenda est particulièrement intéressante à visiter car on peut y voir trois types de plantation :
– Plantations en Cabruca, donc ayant conservées des arbres natifs (cf. notre article sur le système cabruca). On y remarque notamment des plantations en 1,5 x 3 m, avec une hauteur limitée à 1,8 m pour des arbres ayant près de 2 ans.
– Plantation en système agro-forestier : cacaoyers, hévéas, bananes, etc.
– Jardin clonal : jusqu’à 50 variétés différentes ; plantations irriguées en 1,5 x3.
Chez M. Libânio on arrive à exploiter 33 variétés différentes, souvent des clones hybrides de trinitarios et de scavinas comme les TS 1188 , THS 516, TSH 565. Du PS 1319 (rouge…), PS 1030 (vert…), mais aussi du CNN 10, etc. Par-delà l’avalanche de numéros que nous n’arrivons pas encore à distinguer, ce qui frappe c’est la volonté de maintenir une diversité et l’investissement dans la mise en place de ces clones souvent distribués par la CEPLAC et parfois mis au point par M.Libânio elle-même ou avec son étroite collaboration.
On notera aussi l’importance attachée à l’association hévéa et cacaoyer, permettant de bénéficier de deux productions, même si actuellement l’hévéa n’est guère rentable. Le mode traditionnel de plantation est de commencer par l’hévéa car il a besoin de soleil, puis de planter 3 mois après des bananiers (pendant 2 ans), puis un an après des cacaoyers qui entreront en production au bout de 2,5 à 3 ans. Mais à Paineiras, on expérimente aussi un autre système : couper les vieux hévéas devenus improductifs et replanter de nouveaux plants sous des cacaoyers vieux de 15 à 30 ans : 2 lignes d’hévéas à 3 x 2,5 m, puis 15 m de distance entre chaque paire de lignes. L’hévéa sous le cacaoyer : cette expérience sur 2,5 ha méritera d’être suivie car elle peut intéresser d’autres plantations à rénover, et à notre avis pas seulement au Brésil. Notre tour de la fazenda nous a permis d’observer d’autres pratiques culturales intéressantes. Notamment le remplacement des arbres d’ombrage traditionnels que sont les légumineuses Erythrina au bois trop fragile par du cajà (spondias mombin).
La fazenda Paineiras dispose de ses propres infrastructures de fermentation, de séchage et d’entreposage, même si de plus grosses installations sont situées à Gandu. La fermentation se fait dans des bacs traditionnels. Le séchage se fait en 2 temps : 1 jour sur une «barcasse» (séchoir «Laurent»), puis 9 à 10 jours en «estufa» (séchoir-tunnel) pour amener les fèves à 6 % d’humidité. La fazenda abrite également la coopérative Cooperbahia qui démarre une fabrication de liqueur (pâte de cacao). Un autre billet de blog présentera cette coopérative.
Enfin, même si généralement nous n’apprécions pas trop l’étalage de photos d’élèves souriants et autres images politiquement correctes diffusées pour donner une couleur «sociale», nous ne pouvons pas quitter cette fazenda sans une photo d’école. Pourquoi ? Parce que lorsque nous avons visité la plantation en compagnie de Daniel Antrade (responsable de Cooperbahia) et de Robson, un technicien, ce dernier nous a dit fièrement qu’il avait passé ces premières années de scolarité dans cette école et que son fils de 4 mois y ira très certainement lui aussi. Tradition d’entreprise. Pérennité du lien social. Vision à long terme d’une grande propriété agricole, et non seulement image «socialement responsable». D’où photo.
Après la fazenda Paineiras nous avons pu visiter une autre ferme de M. Libânio : Ladeira Grande à Gandu, faisant partie du conjunto Petrolina. Pour Petrolina, M.Libânio a investi dans les certifications UTZ et Rainforest Alliance.390 hectares dont 224 d’association cacao + hévéa, 18 variétés de cacaoyer.
Ce fut l’occasion de voir avec Eimar d’autres innovations tant sur la plantation qu’au niveau des infrastructures. Ainsi pour le séchage, nous avons pu voir un système mécanisé, ainsi qu’un nouveau modèle de séchoir-tunnel sur tables maillées d’un plastique spécialement conçu pour M.Libânio.
Dernière étape: le contrôle qualité des fèves. Un contrôle rigoureux est effectué afin que la production puisse maintenir sa réputation. M. Libânio est fier de ses réussites aux concours. Et fier de voir ses fèves utilisées notamment pour le chocolat de couverture Macaé de Valrhona, pour une tablette de la marque brésilienne Harald Unique et pour une des tablettes «Grand Cru» de Bonnat (cf. sur ce site en attendant le nouveau site de Bonnat).