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Cacao vietnamien : la vérité par les prix ?

21 janvier 2016 | Catégorie : Filières, Non classé

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D’après les estimations de l’ICCO, la production vietnamienne seraient de 3 000 tonnes en 2014/2015 (0,07 % de la production mondiale).

L’essentiel du cacao vietnamien est produit dans le delta du Mékong, avec également des zones sur les hauts plateaux du Viêt Nam du sud et dans le sud-est. Dans le delta, les cacaoyères sont constituées de toutes petites parcelles, souvent inférieures à 0,5 ha, en association avec des cocotiers ou des arbres fruitiers. Les parcelles sont irriguées, entrelacées par les multiples petits canaux si caractéristiques de cette région fertile et où les fermiers bénéficient d’un niveau de vie plutôt aisé.

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La production de cacao a commencé à se développer au début des années 2000 : les surfaces cultivées seraient passées de 500 ha en 2003 à 25 700 ha en 2012, pour chuter à 17 000 ha en 2015¹. Le nombre de pépinières auraient été divisés par 5 en 2015. Dans la province de Bến Tre, le verger serait passé de 10 000 ha à 3 000 ou 4 000. Dans un des districts (Thạnh Phú) il n’en reste plus qu’une dizaine de cacaoyères là où il y avait une centaine. Alors qu’il était auparavant l’acteur majeur Cargill s’est retiré du cacao en 2014 (du moins directement). Lors de notre séjour au Vietnam début janvier, tous nos interlocuteurs soulignaient que loin de décoller le secteur avait stagné ou régressé depuis 3 ans.

Alors que s’est-il passé ? Qu’est ce qui peut expliquer cette stagnation ?

Les vergers sont relativement sains, même s’ils sont confrontés aux mirides Helopeltis , un moustique nuisible qui piquent les cabosses, et surtout en saison des pluies à la pourriture brune (Phytophthora palmivora).

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Les plantations sont jeunes : il est rare de trouver des arbres de plus de 7-10 ans. Du moment qu’un fermier s’occupe bien de sa parcelle (taille et engrais), il obtient des rendements équivalents à 2 tonnes à l’hectare, voire plus. Nous parlons d’«équivalence» car il faut raisonner en termes de production par pied (2,5 kg par arbre) puisque les plantations sont en polyculture, avec des cocotiers ou des arbres fruitiers.

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Le Vietnam bénéficie d’une forte tradition agricole : 2e producteur de café, 2e producteur de riz, des plantations d’hévéa (peu rentables actuellement), anacardiers, poivrier. L’infrastructure rurale est excellente : aucun problème de transport.

L’émergence du cacao au Vietnam a été grandement favorisée par l’appui de programmes de développement. L’USAID avait lancé un programme en 2003 dans les provinces du Sud et le delta du Mékong, puis à encourager à partir de 2007 la culture du cacao dans les provinces de Đắk Lắk et Lâm Đồng à travers l’alliance SUCCESS (Sustainable Cocoa Enterprise Solutions for Smallholders) suivi du projet Sustainable Cocoa for Farmers achevé en 2014. Ce projet réunissait les industriels Mars, Cargill, Puratos Grand Place, IDH et la coopération suisse (Helvetas), avec des partenariats publics-privés entre industriels du secteur et le Ministère vietnamien de l’Agriculture et du Développement Rural (MARD). Les planteurs ont ainsi bénéficié de formations et d’assistances techniques. Quelques coopératives ont été certifiées UTZ. Au total, des millions de dollars ont été investis.

La filière bénéficie de la présence d’opérateurs ayant investi sur le long terme, notamment Puratos Grand-Place qui mise sur une intégration verticale en transformant sur place. Cette société joue un rôle clé dans la filière et collabore avec Mars, le premier consommateur de cacao vietnamien. Mars œuvre notamment dans les projets pilotes de sélection variétale et dans la dissémination de bonnes pratiques agricoles à travers des Cocoa Development Centers.

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La stratégie de développement mise sur une production de cacao de qualité, pour un marché haut de gamme, en jouant sur l’appétence pour un cacao d’origine nouvelle. Le cacao vietnamien jouit d’une bonne réputation. Déjà en 2013, la société Puratos Grand-Place a pu gagner un prix au Cocoa of Excellence avec ses fèves de Châu Thành (province de Bến Tre). Des fèves de Lâm Đồng envoyées par Marou ont été nominées en 2015. Des chocolatiers haut-de gamme contribuent à assoir la réputation du cacao vietnamien : deux travaillant exclusivement cette origine (Marou Chocolate et ERITHAJ) et de nombreux autres en proposent: Scharffen Berger (mais continuent-ils après leur rachat par Hershey ?), Palette de Bine, Shunsuke Saugusa, Szántó Tibor, Belcolade (Puratos), Hotel Chocolat, Marcolini.Une consécration importante devrait venir en mai lorsque l’ICCO validera les recommandations faites en septembre dernier par son panel «Fine Flavor» : il a été proposé que 40% de l’origine Vietnam soit classé en cacao fin 2.

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Les conditions de vie et les débouchés des planteurs vietnamiens n’ont rien à voir avec ceux qui se passe en Afrique de l’Ouest. Le prix obtenu par les planteurs est en fait «élevé». Le cours est étroitement lié à celui des cours mondiaux et on arrive à des prix bord champ au-dessus des cours du marché londonien. La plupart des planteurs ne fermentent pas eux-mêmes : ils vendent les cabosses à des collecteurs qui soient fermentent, soit vendent la pulpe à un centre de collecte comme celui de Puratos Grand-Place à Ben Tre. Les prix donnés lors de nos visites sont bien sur variables. Les collecteurs (qui sont eux-mêmes planteurs) achetaient le kilo de cabosse à 5 500 à 6 000 dongs auprès des planteurs (soit environ 0,23 €). Cela atteindrait maintenant 6 500. Le kilo de pulpe se vend 26-28000 dongs le kilo et le kilo de fève à 75 000 dongs (2,95 €). Ce prix peut être supérieur : un collecteur-fermenteur nous a parlé de 78 à 79 000 dongs, et de 83 000 pour une qualité supérieure vendue à Marou. Plus de 3,15 euros le kilo, à comparer par exemple avec le prix bord champ à mi-janvier au Cameroun : 2,34 euros. Après pour avoir une meilleure idée du marché il faut se battre avec les conversions : il faut environ 11 kg et parfois jusqu’à 13-14 kg de cabosse pour 1 kg de fève; entre 2,6 à 2,7 kg de pulpe pour 1 kg de fève (ou plus, selon que l’on pèse la pulpe après l’avoir laissé drainée un peu ou pas). Sachant qu’une ouvreuse de cabosse gagne environ 110 000 – 120 000 dongs par jour, que le coût de fermentation – séchage atteindrait les 500 USD la tonne dans un centre de collecte, etc. Il faut se battre pour avoir une meilleure idée de la chaine de valeur et force est d’avouer qu’en quelques jours nous n’avons pas réussi à gagner cette bataille ! Toutefois, il parait clair que les collecteurs ont une activité rentable (une marge de 3 000 à 5 000 dongs par kg de pulpe), que les prix bord champ sont actuellement bons, et que la tendance est nettement favorable en ce moment. Il y a clairement un déficit d’approvisionnement qui tire les prix vers le haut, d’autant qu’on a l’impression que la société vietnamienne Den Than et ACOM (filiale du singapourien ECOM) se battent pour contrer le principal acteur Puratos Grand Place.

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Mais alors qu’est ce qui peut expliquer que nombre de planteurs ont arraché leurs arbres et que ce phénomène continue parfois ? Tout simplement parce que les fermiers peuvent gagner plus d’argent avec les arbres fruitiers (à Ben Tre, c’est notamment le pomelo), ou le poivre. Le cacao est donc victime de la concurrence de cultures plus rentables et moins complexes. Ainsi si le prix de la cabosse atteint actuellement 6500 dongs, il n’était pendant des années qu’à 3000, 3500, 4000. Les planteurs en ont vite tiré les conclusions : arracher les plants et faire autre chose. Grosso modo à partir de 70 000 le kg d de fève le cacao est intéressant, à plus de 75 000 il devient vraiment attractif, mais à moins de 65000 le kilo on considère qu’il vaut mieux faire autre chose. C’est la vérité des prix qui oriente les choix du fermier.

Les petits planteurs recommenceront ils à investir dans le cacao, en faisant le pari que cette culture de rente sera effectivement à nouveau rentable en l’associant avec d’autres spéculations ? Cela est probable, mais il leur faudrait bénéficier d’un appui plus fort des sociétés de la place et surtout du gouvernement : favoriser les achats à bas couts d’intrants et de nouveaux plants, intensifier les programmes de formation technique. Des grosses plantations étatiques de café et d’hévéa se reconvertiront elles effectivement vers le cacao? Cela a été plusieurs fois évoqué, notamment lors de l’Asia Choco Cocoa Congress qui s’est tenu à Singapour en avril 2015. Conférence lors de laquelle on a également mentionné un fonds du Moyen Orient prêt à investir dans une nouvelle plantation de 2 000 ha.

Mais annoncer à nouveau des objectifs de production de 50000 tonnes dans les 8 à 10 ans à venir nous parait téméraire. Il y a 5 ans déjà, on parlait de ces 50 000 tonnes à l’horizon…2014/2015. La conférence 2nd Cocoa Revolution va s’en doute encore être l’occasion de publier des prédictions ultra-optimistes. Mais gare aux effets d’annonce.

source: www.cmtevents.com

source: www.cmtevents.com

Je reste persuadé qu’il y a plein de choses à faire au Vietnam et que le cacao vietnamien connaitra un nouvel essor pour prendre une place méritée sur le marché haut de gamme. Par contre, il ne faudra jamais oublier qu’au final c’est au niveau de la ferme et de sa rentabilité que les choses se décideront, pas dans les colloques.

Gabriel Metz

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1 Chiffres donnés par Dinh Hai Lam (Mars Inc.) et cités dans un article de Vietnam News : « Cocoa growth fails expectations« .
2 Voir l’article de Clay Gordon résumant les nouvelles recommandations du panel: “Where Fine Flavor Cocoa Grows”.

1 Commentaire

  1. Puratos Grand-Place : l’engagement à long terme | eCacaoS - […] en 2016. Mais les plantations de cacao ont été délaissées ces dernières années (voir notre article précédent). Aussi Puratos …

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