Quand il faut faire avec
6 juillet 2015 | Catégorie : Filières
Dans l’État de Bahia, la filière cacao ne se remet que progressivement de la crise qu’elle a subie dans les années 90. Dévastées par l’effondrement des cours et la maladie du « balai de sorcière » (Vassoura-de-bruxa), les plantations ne produisaient parfois plus que 10% des récoltes de la décennie précédente. Les efforts d’introduction de variétés plus résistantes à la maladie ou supposées telles ne compensent pas encore suffisamment la dégradation générale d’un verger vieillissant. Nombre de plantations sont à l’abandon ou tout comme, dans un contexte économique qui ne garantit plus la viabilité des fermes. Ils sont bien loin les « bons temps du cacao » durant lesquels les propriétaires terriens pouvaient engranger l’argent d’un cacao cher produit par une main d’œuvre plus que bon marché.
Il faut tenir compte de ce contexte pour comprendre ce qui se passe actuellement : le cacao est le plus souvent de mauvaise qualité. Et s’il est de mauvaise qualité, c’est essentiellement parce que la récolte et les traitements post-récoltes sont médiocres. Il suffit d’observer ce qui se passe dans les fermes pour voir à quel point la réalité est différente des bonnes pratiques généralement conseillées. Suivons ainsi de plus près une récolte et regardons ce qui se passe, tout en gardant en mémoire les préconisations lues dans des manuels comme ceux diffusés à Bahia par l’Instituto Cabruca ou dans l’excellent ouvrage de Michel Barel sur le traitement post-récolte.
Commençons par la récolte. Plusieurs variétés de cacaoyers coexistent dans les cacaoyères et la production est insuffisante pour imaginer pouvoir séparer la récolte en lots homogènes. Ceci ne facilite pas la maîtrise de la fermentation, mais n’est pas un handicap majeur. Le défaut de qualité commence par la cueillette de cabosses peu ou trop mures. Les cabosses sont ramassées à la machette pour les mettre en petits tas. Elles subiront d’autres coups de machettes lorsque ces tas seront rassemblés avant l’écabossage. Peu importe si des coques sont perforées…D’ailleurs, si une cabosse est trop verte, elle pourra être coupée pour « la faire murir » (sic) comme par exemple ci-dessous.
Aucun tri ne sera effectué lors de l’écabossage. Même les cabosses momifiées par la maladie de la Varoussa-de-Bruxa seront raclées avec un petit bout de bois pour en extraire des graines noirâtres et creuses, qu’on appellera «cacau bruxa». Tout est bon à mettre sur le tas.
Les graines ne seront pas amenées vers des caisses de fermentation, mais directement sur les barcasses de séchage.
Quant aux tous petits producteurs, ceux qui ont quelques arbres dans leur jardin, ils vont encore souvent faire sécher leurs fèves directement au sol, y compris en pleine ville comme ici sur un trottoir de Santa Luzia ou sur une place de la préfecture d’Uruçuca.
Les fèves seront vendues à des négociants en cacau, qui se chargeront de trier et de mélanger leurs achats afin que la qualité globale reste « acceptable ». Ils ensacheront un cacoa de qualité médiocre qui sera acheminé par camion aux usines et entrepôts de Barry Callebaut, Cargill et autres. Cette marchandise de mauvaise qualité servira à la transformation locale.
Les petits planteurs sont-ils inciter à faire mieux ? Non, à moins qu’ils puissent s’intégrer dans une filière de niche : cacao bio, cacao destiné à l’exportation ou entrant directement dans la fabrication de chocolat local vendu comme « haut de gamme ». Sinon le prix qu’ils obtiennent est le même, quelle que soit la qualité. Le cours du cacao est fixé journellement et affiché dans tous les points d’achat. Les grandes compagnies achètent aux négociants à quelques rials de plus. Elles élimineront les fèves bruxa par triage automatisé et assumeront sans difficulté la perte de quelques pourcents (les fèves bruxas ne pèsent pour ainsi dire rien). Et après tout, les producteurs brésiliens ne sont pas si mal lotis au niveau prix, par comparaison avec ce qui peut s’observer en Afrique de l’Ouest. A 120 Rials l’arroba (15kg) sans décote ni prime, le prix de vente revient à 2572 USD la tonne sur le marché local, à comparer à 3290 USD sur la bourse de New York (à fin juin 2015, les cotations journalières peuvent être consultées sur le site Mercado do Cacau).
Mais attention, lorsque le prix commence à grimper, les compagnies peuvent temporiser. Ainsi début juin, nous avions pu constater des longues files de camions en attente : l’acheteur multinational n’achetait plus, les petits négociants avaient donc de grâves problèmes de trésorerie et ne pouvaient plus acheter toute la production des petits planteurs.
Voilà donc quelques aspects de la situation qui prévaut à Bahia. À ne pas oublier avant de parler des exemples de réussites et d’initiatives encourageantes.
Références bibliographiques :
- Qualité du Cacao. L’impact du traitement post-récolte, Michel Barel, Éditions Quae , 2013
- Guia de Beneficiamento de Cacau de Qualidade, Instituto Cabruca, 2013
Photos : Gabriel Metz, 2015